Continuité pédagogique : trois angles de témoignages

Le Président Macron a annoncé lors de sa dernière allocution une fermeture des établissements scolaires au moins jusqu’au 11 mai, puis des réouvertures progressives des établissements ce qui a engendré un début de polémique. Avant de se positionner sur ce sujet OSE a voulu savoir comment se passait la « continuité pédagogique » depuis le début du confinement à Orléans. Des témoignages d’enseignants, parents d’élèves et même d’enfants ont été recueillis et permettent de se faire une première idée de comment elle a été mise en place et perçue dans les établissements scolaires d’Orléans.

Le point de vue des enseignants

Témoignage de Fabienne, enseignante en maternelle

  • Comment la continuité pédagogique a été mise en place dans votre établissement dans l’urgence ?

Le vendredi matin suivant l’annonce de la fermeture des écoles, avec mes collègues nous avons recueilli les adresses mails des familles. J’ai d’abord cru que comme pour la grippe h1n1 (l’école avait été fermée 2 ou 3 jours), nous serions là, à l’école le lundi entre collègues pour travailler sans élèves. Ce n’est qu’en entendant que les restaurants, bars, théâtres… allaient fermer que j’ai mesuré l’ampleur de la crise.

  • Comment cela s’est passé au début, puis ensuite ?

Nous avons appelé les familles pour avoir les mails manquants. Nous avons commencé avec une adresse mail par classe (fournie en urgence par l’administration) et nous avons envoyé du travail. C’était compliqué : lourdeur des documents/possibilités offertes. Puis un blog a été mis à disposition de l’école et nous avons pu y déposer des activités sous format vidéos ou book creator, fichiers audios…

Nous avons choisi de faire des propositions d’activités collectivement, en équipe et non pas par classe, afin que les familles aient un choix. Nous avons proposé 4 activités par jour de classe comprenant chant, sport, bricolages, écritures….et cela ne s’est pas fait sans difficultés : jamais nous n’aurions pensé enseigner à distance, nous avons cherché des infos, tutos, documents presque à s’y perdre tant les possibilités sur internet renvoient à d’autres possibilités….

Puis nous nous sommes posées, et avons fait des choix. Le retour de mails n’a pas été concluant, nous avons joint ou tenté de joindre tous ceux qui ne nous avaient pas répondu. Sur les 4 semaines, nous avons passé 3 grandes « séries » de coups de téléphone pour rester en lien et nous savons que nous devrons le refaire à la reprise, c’est important de maintenir ce lien humain, vivant.

  • Quel bilan pour vous du dispositif ?

Les difficultés :

Enorme temps passé devant les écrans avec une grosse amplitude horaire. L’attente des réponses, les familles répondent quand ils peuvent ou veulent et pas forcément aux horaires d’école ou à mes horaires.

Nous travaillons en REP avec des familles peu lectrices d’où la difficulté pour nous de mettre en images, en photos, en petites vidéos, nos activités postées car nous avons choisi de rien avoir besoin d’imprimer. Les familles nous laissant sans nouvelles ont été appelées plusieurs fois pour avoir des nouvelles, pour essayer de savoir quelles étaient les difficultés rencontrées avec ce que nous proposions et cela a pris beaucoup de temps.

Les plus :

Je ne pensais pas être aussi en joie de recevoir des nouvelles des familles, de voir la fierté de mes élèves devant une de leurs réalisations, et d’être aussi bouleversée par un message audio envoyée par une famille ou par un parent qui passe le téléphone à son enfant pour parler avec sa maitresse.

Enseigner ou proposer des activités scolaires adaptées m’a personnellement demandé une énergie différente, envahissante tout le temps en écran, en disponibilité de cerveau, en compétences numériques (pour lesquelles j’ai progressé!!) et parfois malgré le confinement à la maison la sensation de ne plus savoir où on habite.

  • Quel manque/amélioration à apporter ?

Il est bien évidemment très compliqué et très complexe de savoir pourquoi les familles s’engagent différemment dans le travail scolaire à la maison : équipement numérique? exiguïté des espaces? difficultés sociales? culturelles? linguistiques? taille de la famille: combien d’enfants en âge scolaire? qui privilégier? submergement face à cette crise nouvelle? inadéquation de nos propositions avec l’attendu des familles ?

Comment mettre en place un apprentissage nouveau, une aide scolaire efficace avec la distanciation physique?

Enseigner en maternelle est un métier de contact avec les enfants, avec leur famille et nous essayons le plus possible de travailler dans la confiance. C’est pourquoi avec mes collègues, nous nous sommes engagées du mieux que nous pouvions dans le processus, sans juger des retours, des non retours. Par contre nous avons pris à cœur de rester positives et d’accueillir tous les retours.

Le retour en classe nous permettra certainement d’avoir des retours des familles sur leurs ressentis, leurs vécus et comment s’améliorer.

Témoignage de Marc*, enseignant en lycée orléanais :

La mise en place a été difficile, répondant à des conditions inédites, mais aussi à l’urgence à mobiliser et ne pas perdre le lien avec les élèves. Pour les professeurs, il s’est agi de transformer les cours pour les médiatiser (insérer des exercices et consignes ultra-guidées), ou de créer les cours (réforme des programmes). Il a fallu aussi faire face à toutes les demandes individuelles (des centaines de messages quotidiens), s’organiser par équipe (parfois très nombreuses), atteindre les publics afin de les rassurer, mais aussi d’exiger du travail : garder la main. Enfin, certains conseils de classe du deuxième trimestre ont été tenus par téléphone, puis les avis ont été distribués par famille.

Pour tous, les difficultés sont d’abord d’ordre technique : saturation de la plate-forme des cours en ligne internes aux lycées (MOODLE) ou offertes par l’Etat (CNED), pendant environ une semaine, nécessité de rééditer les codes d’accès au cahier de textes numérique ainsi qu’aux cours, difficulté à télécharger les fichiers proposés… Pour les enseignants, l’utilisation de son propre matériel informatique, la constitution de listes d’e-mails accessibles, l’utilisation de réseaux sociaux et commerciaux (discord, whats’app, facebook, zoom), bien que méconnus parfois, ont été rendus nécessaires malgré les recommandations pour diffuser l’information, conduisant inévitablement à une démultiplication des voies d’accès à l’information pour les élèves, mais aussi à la diffusion de coordonnées personnelles. 

Les élèves sont ainsi confrontés à de multiples fractures : socio-économiques d’abord, avec le partage à plusieurs de l’équipement familial, voire l’absence d’ordinateurs pour certains, de connexion internet pour d’autres ; culturelle ensuite, puisque des élèves maîtrisant peu le français se sont retrouvés sans outil, sans consigne, sans médiation du professeur, tandis que beaucoup ont été confrontés à l’autonomie totale ; technologique enfin, avec un inégal accès à la bande passante. Dans chaque classe, quelques élèves n’ont pas rendu – ou aléatoirement – leurs devoirs ou téléchargé les cours. Les enseignants ne sont pas en mesure, individuellement, d’aplanir ces inégalités.

Il faut maintenant garder les élèves mobilisés à l’approche des vacances et du fait de la suppression des épreuves du Baccalauréat.

Témoignage de Mauricette*, enseignante en collège :

Au collège, comme dans les autres structures scolaires, les équipes enseignantes ont réussi à se mobiliser efficacement et rapidement. La difficulté majeure a été de savoir mesurer, doser le travail à donner, sans surcharger les élèves déjà secoués par les événements et les nouvelles modalités d’enseignement.

Ce confinement révèle deux fractures majeures. Tout d’abord, la fracture numérique : les collégiens, que l’on pense rompus à la pratique, semblent en effet découvrir le numérique. Il ne s’agit pas de la question matérielle, mais bien de l’appréhension de l’outil numérique. En effet, nombre d’enseignants a pu constater que la grande majorité des collégiens, tous niveaux confondus, était incapable de joindre un fichier à un message, d’en déposer un sur un espace dédié ou créer un fichier sous format word ou PDF. Cela a significativement ralenti la progression des enseignements, et a donné lieu à des échanges et à des explications innombrables. Si les adultes ont dû se former rapidement et efficacement à l’usage et à l’exploitation du numérique, il en de même pour les collégiens, pour une utilisation bien plus basique. Ceci explique très certainement la saturation exprimée par bon nombre d’enseignants, qui ont dû passer des heures à adapter des contenus là où le présentiel aurait permis se concentrer bien davantage sur l’assurance et la vérification d’une transmission réussie.

La question de la transmission des savoirs, dans cette particularité qu’est l’école à distance, est au cœur d’une seconde fracture. En effet, si la plupart des collégiens, à l’instar des écoliers, sont accompagnés, ou au moins, encouragés par leurs parents, certains d’entre eux se retrouvent complètement livrés à eux-mêmes. Concrètement, la plupart du temps, la famille reste attentive au travail de l’élève et a mis en place des règles pour que ce-dernier poursuive ses apprentissages, selon un emploi du temps adapté. Dans ces circonstances favorables, quand un enseignant donne un travail à faire, soit l’élève se sent apte à l’exécuter seul, soit il demande de l’aide à sa famille. Or, il a été constaté que des élèves ne bénéficiaient même pas de ce cadre propice au travail, de l’incitation de la famille à travailler, et encore moins d’une aide. Si ces inégalités étaient déjà là et connues bien avant le confinement, elles semblent exploser au visage des équipes éducatives qui sont en charge de ces élèves. Comment faire en sorte que ces élèves ne se retrouvent pas doublement isolés ?

* le prénom a été modifié.

Le point de vue des parents

Témoignage d’Olivier, parent d’élèves orléanais (une fille en CM1, un garçon en grande section de maternelle dans le même groupe scolaire).

Comme parent, le premier constat a été que la fracture numérique qui existe dans la société française existe aussi dans l’enseignement. Des enseignants, travaillant en équipe ont utilisé des outils afin de partager des visuels et un lien protéiforme continu avec la classe dès le premier jour, d’autres ont pris une semaine pour trouver des bouts de livres numérisés à envoyer aux élèves : l’Education Nationale, n’a pas vécu sa transformation numérique.

Les parents d’élèves de l’école de mes enfants savent que la qualité et la sincérité de l’engagement des enseignants est forte chez chacun d’entre eux. La question qu’on se pose alors est évidemment de la formation et des outils apportés aux enseignants dans le domaine numérique, en particulier en cette période de crise.

Le point le moins accompli à mon sens, n’est pas la diffusion des leçons, mais leur animation. En effet on est « abreuvé de partout » de propositions de contenus intéressants pour les enfants en période de confinement (télé, sites internet…). Or pendant ce confinement, beaucoup des parents télétravaillent. C’est donc l’accompagnement qui manque, pas les contenus.

Enfin je suis étonné de ne pas voir l’Education Nationale, en lien avec les associations d’éducation populaire, dont les associations de parents d’élèves, s’emparer du sujet et mettre en ligne une plate-forme de contenu des programmes.

Témoignage d’Hugues, parent d’élèves orléanais (un garçon en CM2 et une fille en CE1) :

La mise en place des cours à distance s’est faite immédiatement une fois le confinement déclaré, par le biais de mails quotidiens des deux institutrices transmettant des exercices à faire et des consignes précises. L’objectif de ces documents, en particulier en CM2, était d’entretenir un rythme de travail élevé, pour recréer à la maison une atmosphère similaire à celle de l’école.

Cet effort de travail important a eu l’effet escompté, en permettant à mes deux enfants de travailler régulièrement et de continuer à progresser. Il a cependant un coût élevé, d’une part du côté de l’enseignante, dont la charge de travail, à la fois dans la préparation des documents mais aussi dans leur correction quotidienne, a été très élevée. D’autre part, malgré le soin dans l’élaboration des documents écrits, mon assistance pour les devoirs et la compréhension de certaines leçons s’est avérée nécessaire. Si cette intervention de ma part est naturelle, elle pose cependant la question des environnements familiaux dans lesquels aucun parent n’est en mesure d’aider à la réalisation des devoirs.

Par ailleurs, il est un peu regrettable que les seuls adultes sollicitées dans cet apprentissage à distance soient les enseignants. Le réseau des parents d’élèves, ou bien des réseaux d’aide aux devoirs, n’ont pas été impliqués dans la mise en œuvre du plan de continuité pédagogique. Cet état de fait est à l’image du fonctionnement en temps normal de l’école, dans lequel la pédagogie et l’apprentissage sont du ressort exclusif des enseignants. Sans remettre en cause la primauté de l’enseignant, la participation des réseaux de parents d’élèves pourraient être envisagée de manière bénéfique dans les apprentissages.

Témoignage de Gonéri (2 enfants en CP et CM2) :

Pour nos deux enfants, j’ai trouvé que les enseignants ont su réagir très rapidement en donnant des consignes claires, une quantité de travail réaliste et en assurant un suivi réel malgré les circonstances. Globalement à mon niveau, les enseignants et les parents ont réussi à s’adapter très rapidement à la situation, même si les règles ne sont parfois pas très claires ou optimales.

Le point de vue des enfants

Témoignages de quelques enfants orléanais :

Augustin, 12 ans, 5ème , vit en maison avec jardin:

J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de travail et qu’au début les profs ne maitrisaient pas très bien les classes virtuelles et j’étais un peu perdu dans cette tonne de devoir. Mais au fur et à mesure il y avait de plus en plus de classes informatiques, et qu’ils maitrisaient mieux celles-ci. Les profs ont compris de mettre un peu moins de travail et que tout le monde était beaucoup moins voire plus du tout perdu dans le travail. Pour l’instant j’aime beaucoup cette période de confinement dans l’enseignement. Je trouve que c’est une très belle expérience aussi bien pour les élèves que pour les profs.

Pénélope, 10 ans, CM1, vit en maison avec jardin :

Au début quand le maitre nous a annoncé cela, j’ai pensé que j’allais beaucoup m’ennuyer et que mes amis allaient me manquer. Mais en fait je me suis trompée, on fait des récréations virtuelles avec mes amis, on peut se voir en virtuel. Au début on a travaillé sur le CNED mes maitres ne me donnaient pas de devoirs. Et en fait après c’était beaucoup mieux pour l’organisation. Je trouve que c’est plutôt bien d’être en confinement car si je travaille bien je ne travaille que le matin et l’après-midi on peut faire du jardinage, faire de la couture, regarder des films, faire du sport, … Ce qui est nul c’est que mes frères m’énervent.

Ferdinand, 8 ans, CE2, vit en maison avec jardin :

Au début il y avait beaucoup de travail, c’était très dur. Ensuite la maitresse nous a envoyé d’autres devoirs que le CNED. J’ai trouvé une occupation : lire Harry Potter, je trouve ça bien. Mes copains me manquent, la maitresse et l’école ne me manquent pas du tout. Mon frère et ma sœur m’énervent. J’aime bien ça [la période de confinement] car il n’y a pas beaucoup d’école. Je ne sais pas trop quoi dire de plus, je vais entamer le tome 3 d’Harry Potter.

Roxane, 5 ans, grande section de maternelle :

L’école quand c’est à la maison c’est bien, parce que comme ça j’ai le temps de le faire toute la matinée parce qu’à l’école ça me prend plus longtemps si j’ai envie de traîner. La maîtresse envoie le travail sur le téléphone de ma maman, et maman elle me dessine les dessins et moi je dois faire qu’est-ce que je dois faire. La maîtresse nous a envoyé une comptine, et maman a pris mon travail en photo, et la maîtresse m’a envoyé un petit mot. Le confinement ça me plaît parce que comme ça je peux plus jouer à la maison. L’école, ça me manque pas, parce que je reste plus longtemps dehors. Mes copains me manquent un tout petit peu.

Simon, 10 ans, CM2, vit dans une maison, a une sœur

Pendant le confinement, la maitresse nous envoyait des messages avec le travail à faire pour la journée et les corrections deux jours plus tard. Elle n’a pas donné de travail pour les vacances. Le travail occupe environ 2 heures et demi.

L’après-midi soit on jardine, soit on va courir, (dehors) ou on fait des jeux. On fait des réunions Visio avec notre famille et nos amis. Mes parents travaillent à la maison en alternance, un le matin et l’autre l’après-midi.

J’aime plutôt bien le confinement à la maison mais je me dis que ça doit être dur pour ceux qui habitent en appartement. Je préfère largement la vraie classe à l’école à la maison car on arrive plus à se concentrer en classe.

Iliès, 16 ans, vit en appartement :

J’habite Orléans la Source plus précisément Bolière. J’ai deux frères, nous sommes quatre en tout chez moi. Nous sommes confinés, c’est très difficile car il fait beau et je me sens un peu compressé.

Julien Rey et Hugues Raimbourg, colistiers d’OSE