Des précisions sur le télétravail

Le 16 mars dernier, Emmanuel Macron déclarait que la France se trouvait en « guerre sanitaire » et annonçait le confinement généralisé. Le même jour, le ministère du Travail précisait, dans un communiqué de presse, que le télétravail était « la règle impérative pour tous les postes qui le permettent ».

Mais cette forme d’organisation du travail est encore peu répandue au sein des entreprises françaises, et les structures et leurs salariés ont dû brutalement s’adapter.

Une définition

Le télétravail est défini par l’article L. 1222-9 du Code du travail comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

Il peut être régulier ou occasionnel, prendre plusieurs formes et s’exercer sur des lieux différents.

Il recouvre ainsi une multitude de situations différentes, allant du salarié qui bénéficie d’une journée de travail à la maison à celui qui utilise ponctuellement les technologies de l’information et de la communication (envoi d’email, conférences téléphoniques etc.) pendant ses déplacements.

Le télétravail doit faire l’objet d’un accord entre le salarié et son employeur. Généralement, il fait l’objet d’une charte.

La menace d’une épidémie (comme actuellement dans le cadre de la lutte contre le Covid-19) est une circonstance exceptionnelle permettant d’imposer le télétravail au salarié sans son accord (article L. 1222-11 du code du travail ). Il s’agit alors d’un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés.

Un cadre

  • L’employeur doit faire respecter les durées maximales de travail et de repos, tout en instaurant un système de décompte des heures de travail (système d’autodéclaration, système de surveillance des temps de connexion sur l’ordinateur etc.). Le salarié peut néanmoins gérer librement ses horaires de travail.
  • La charge de travail devra toujours être comparable à celle applicable lorsque le travail est effectué dans les locaux de l’entreprise.
  • Le télétravail suppose également la fixation de créneaux horaires sur lesquels le salarié doit être joignable. Par conséquent, le salarié, qui gère librement son temps de travail, ne se voit pas contraint d’être disponible en permanence au cas où son employeur voudrait le joindre.
  • L’employeur doit mettre par ailleurs à disposition du salarié le matériel informatique, les logiciels nécessaires à l’activité, ainsi que les éventuelles surfaces de travail (bureau…).. Il est tenu également de prendre à sa charge les frais induits par le télétravail (accès internet, téléphonie…)., mais également une part des frais de chauffage et d’électricité.

Quel intérêt  au télétravail ?

D’après une étude menée par la chaire de recherche du Canada sur les enjeux socio-organisationnels de l’économie du savoir (télétravail : ses impacts sur l’organisation du travail des femmes et la conciliation emploi-famille, TREMBLAY), cette flexibilité réduirait l’absentéisme et les retards, en particulier en cas de bouchons, de grèves ou… de pandémies.

L’étude démontre aussi que le télétravail permet une meilleure intégration des salariés handicapés et des salariés ayant des contraintes familiales importantes.

En outre, le bien-être au travail est une composante à part entière des performances globales des salariés. Travailler à son rythme, selon ses horaires, dans un environnement choisi, est réputé améliorer la productivité et l’innovation.

Le télétravail durant cette période de confinement

Les considérations qui précèdent s’appliquent au télétravail dans un cadre « idéal », c’est-à-dire réfléchi en amont par l’entreprise et déployé sur un périmètre restreint et adapté, pas du tout au télétravail mis en place par nécessité à très grande échelle pendant le confinement.

Il y a quelques temps, un sondage réalisé par Odoxa-Adviso Partners estimait le nombre de salariés en télétravail en France au cours de cette période de crise sanitaire à 5,1 millions de personnes. Cela signifie que 3,3 millions de salariés ont la possibilité de travailler à distance, en plus des 1,8 millions qui bénéficiaient déjà occasionnellement de cette possibilité.

Seulement un français sur 3 continue à exercer son activité professionnelle sur son lieu de travail habituel. Le télétravail a été déployé massivement sur tout le territoire.

Les salariés ont dû s’adapter en urgence, dans un environnement parfois difficile. La plupart des entreprises et les individus eux-mêmes ont été pris au dépourvu. Beaucoup n’étaient pas préparés pour gérer convenablement un tel contexte dans la durée. Les managers eux-mêmes sont confrontés à une nouveauté : avant ils travaillaient avec une personne à distance et le reste de l’équipe était présent. Là c’est toute l’équipe qui est à distance.

Une récente étude Opinion Way menée auprès de 2 000 salariés français, commandée par le cabinet conseil Empreinte Humaine, spécialisé dans le bien-être au travail fait ressortir que 44 % se sentent en situation de « détresse psychologique », et un quart d’entre eux est en risque de dépression. 18 % des télétravailleurs confinés présentent des signes de troubles mentaux sévères, anxieux, voire dépressifs.

Charge mentale alourdie et cumul des rôles obligent, ce sont d’abord les femmes qui déclarent souffrir de leurs conditions de télétravail en temps de confinement : 22% contre 14% chez les hommes.

Ces chiffres mettent en lumière la souffrance psychologique générée par la mise en place brutale et à grande échelle du télétravail, souffrance à laquelle participent de multiples facteurs.

Des conditions matérielles de télétravail qui peuvent être difficiles

  • Une absence d’espace dédié au domicile, ou un bureau  inadapté au travail informatique. Seuls 45 % des salariés interrogés peuvent s’isoler toute la journée si besoin. Environ 60 % travaillent dans leur salon, et 25 % dans une pièce fermée qui n’est, initialement, pas prévue pour le travail, comme une chambre. Bien entendu, le type de logement joue aussi beaucoup : près d’un quart des salariés qui vivent dans un logement de moins de 40 m² sont dans une détresse psychologique élevée.
  • Le travail avec un matériel personnel non performant

La dimension psychosociale et les facteurs de stress et d’anxiété :

  • L’absence de maîtrise des différents outils informatiques et de communication,
  • La difficulté de gérer l’autonomie et l’organisation personnelle de la charge de travail,
  • Des difficultés à établir des limites nettes entre les sphères professionnelle et privée notamment en raison de la présence des enfants au domicile par fermeture des écoles,
  • L’isolement du salarié au domicile et la limitation des interactions sociales
  • La disparition de l’aspect routinier qui est rassurant afin de faire face au stress du travail (par exemple le fait de passer voir un collègue le matin avec lequel on s’entend bien, les échanges à la machine à café, le fait de faire telle tâche avant telle autre, etc.)
  • L’obligation de parfois faire face à un non-respect de la vie privée et du droit à la déconnexion (surveillance des salariés excessive, présence managériale abusive, mails à des heures tardives…)
  • La crainte du licenciement dans une période de trouble économique, sentiment renforcé par le discours anxiogène des médias.
  • Le manque d’activité physique

La situation de télétravail, une nouvelle inégalité sociale ?

Le coronavirus accentue les différences sociales dans les conditions d’exercice du travail. Il met en lumière l’inégalité entre les salariés qualifiés ((le télétravail est une possibilité pour 60,6 %) et les employés (1,4 %) ou les ouvriers (0,2 %) pour lesquels le télétravail est inexistant ou marginal.

Plus largement, plusieurs syndicats ont alerté sur la montée d’un « sentiment d’inégalité ». « Beaucoup de salariés sont sur le front, souvent des femmes, des ouvriers, des salariés en précarité, des classes populaires, contrairement aux cadres, qui se sont mis à l’abri, quand ils n’ont pas quitté les villes pour des maisons de vacances », résume Eric Beynel, de Solidaires, interrogé par l’AFP.

Louis Maurin, directeur de « l’Observatoire des inégalités » modère cette appréciation : « Les plus favorisés sont moins au contact, mais il faut être prudent, car à l’hôpital par exemple, toutes les qualifications sont représentées, et on retrouve aussi en première ligne des médecins très qualifiés ».