Le quotidien d’une directrice d’ESAT en temps de confinement

En quelques mots qui es -tu ?

Je m’apelle Agnès Sergent, j’ai 56 ans. Je suis mère de 3 enfants et grand-mère de 2 petits garçons. Je suis attachée à la ville d’Orléans où je vis depuis 35 ans ; j’apprécie aussi particulièrement la montagne où je randonne avec plaisir.

Quelle est ton activité professionnelle ?

 Travailleuse sociale de formation,  après plusieurs jobs dans la prévention santé, l’accompagnement de personnes bénéficiaires du RMI, puis auprès de personnes sous mesure de protection, j’ai pris en 2003 un poste de direction au sein de structures accompagnant des personnes adultes en situation de handicap. Aujourd’hui, j’ai la responsabilité d’un ESAT(Etablissement et Service d’Aide par le Travail), d’un foyer d’hébergement, et d’un SAVS (Service d’Accompagnement à la Vie Sociale).

Quelles sont tes missions et tes responsabilités ?

En tant que directrice d’établissements et services, mon rôle est d’organiser et de garantir la qualité de l’accompagnement des personnes qui nous sont confiées. Cet accompagnement vise l’émancipation, l’épanouissement  et la réalisation personnelle des usagers de nos structures. Nous nous devons de mettre en place, avec eux, les compensations nécessaires pour qu’ils accèdent à une vie professionnelle et sociale qui les satisfasse.

Mon rôle est aussi de mettre tout en œuvre pour que les professionnels travaillent dans les meilleures conditions et  puissent investir sereinement leurs missions.

En cette période si particulière quel est ton quotidien de directrice d’ESAT ?

Depuis le début de la pandémie, notre quotidien institutionnel est chamboulé. Nous sommes centrés sur l’aspect organisationnel et préventif. Au jour le jour, je  me tiens  informée des consignes venant de l’ARS (Agence Régionale de Santé) et du département, j’élabore puis mets en œuvre les plans de continuité de l’activité ; Je fais également des plannings, je m’assure  du respect des gestes barrières , je veille à l’approvisionnement suffisant en masques et gels hydro alcooliques…

Depuis le 16 mars dernier, les 96 travailleurs handicapés de l’ESAT sont confinés à leur domicile, en famille, en logement indépendant ou  en foyer d’hébergement. Les conseillères en économie sociale et familiale (CESF), le psychologue, les personnels administratifs et les membres de la direction assurent donc un contact téléphonique très régulier avec chacun d’eux afin de les écouter, les orienter, les soutenir, répondre à leurs interrogations.

Cependant, l’ESAT, par le biais de ses ateliers, assure la  restauration, la blanchisserie, l’ entretien des locaux pour plusieurs autres établissements ( MAS-maison d’accueil spécialisé, FAM-foyer d’accueil médicalisé). Il doit donc continuer à « produire » puisque ces structures pour  personnes dépendantes , restent ouvertes tous les jours de l’année, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige !

L’ESAT  fonctionne donc pour les 3 ateliers liés aux prestations d’accueil; l’atelier espaces verts et l’atelier sous-traitance sont fermés. Les 13 moniteurs de l’ESAT sont mobilisés et repositionnés sur les ateliers ouverts. Les professionnels d’autres établissements fermés de notre association viennent leur prêter main forte. Depuis le confinement, la solidarité entre structures de l’Association est donc particulièrement développée : 43 professionnels (éducateurs, orthophonistes, agents de maintenance, CESF, cuisinières, économes, chargé de mission, secrétaires…) sont venus et viennent encore prendre leur part du travail des ateliers. Chacun laisse de côté ses spécificités, ses fonctions habituelles, pour être disponible là où est le besoin, et enfile la tenue de cuisinier, lingère ou agent d’entretien.

Qu’est ce qui est le plus dur ? Le plus gratifiant ?

Le plus difficile a été la mise en place du confinement durant  les deux premières semaines, d’autant que sur notre site, il y avait des résidents atteints par le Covid19.  Il a fallu rester mobilisé, rassurer mais surtout assurer la sécurité sanitaire de tous en maintenant l’activité. Nous avons dû surmonter nos appréhensions pour poursuivre nos missions.

Le plus gratifiant est sans nul doute la richesse des échanges, la découverte de professionnels venus d’autres horizons, et le sentiment de vivre une aventure difficile/inédite  mais que, collectivement, nous parvenons à surmonter.

Qu’est ce qui est le plus compliqué à gérer ?

Le plus difficile à gérer, c’est d’être dans l’incertitude, dans du mouvant. Cette crise sanitaire inédite nous oblige à nous adapter, à innover, à bousculer nos fonctionnements. Il est difficile d’avoir toujours  cette énergie, surtout quand cela est nécessaire sur la durée,  et que cette dernière n’est pas vraiment définie.

Y a t-il eu des gestes, des comportements qui t’ont particulièrement touchés ?

Ce qui est touchant, c’est l’attention portée par chacun à son collègue habituel ou au professionnel venu en renfort encore inconnu il y a quelques jours. Il y a une réelle bienveillance qui se développe au sein des équipes « recomposées », de l’entre-aide, une certaine ouverture sur le monde de l’autre.

Parviens-tu à décompresser, à te changer les idées , Comment ?

Je parviens (un peu) à sortir de mes préoccupations professionnelles en gardant le contact avec mes amis, ma famille ( nombreuse !), par téléphone, WhatsApp ou Zoom.., en flânant dans mon jardin ou en cuisinant, en entreprenant des grands rangements avec mon conjoint…

Quand nous sortirons de cette crise, que faudra t-il faire différemment dans ton activité ?

Avec le déconfinement vont venir de nouvelles questions, de nouvelles procédures.

Il va falloir, lorsque nous allons réintégrer les travailleurs handicapés dans les ateliers, prendre du temps avec et pour  eux afin de les remettre en mouvement. Même s’ils sont nombreux à être impatients de revenir, le retour  à la normal va nécessiter du temps. Il va falloir être particulièrement vigilant au respect des mesures sanitaires notamment avec une concentration de personnes qui va redevenir relativement importante sur nos sites.

Et que faudra-t-il faire différemment dans notre ville ? dans notre société ?

Durant le confinement, nous avons redécouvert nos quartiers, nos commerces de proximité, nos producteurs locaux. Plus conscients encore qu’avant la crise de leur importance, il nous faut continuer à les  faire  vivre !

Agnès Sergent, colistière d’OSE, a été interviewée par Jean-Christophe Clozier