Rêver les pieds sur terre

Monsieur le président,

 
On m’a dit qu’il ne fallait pas écrire sous le coup de l’émotion ! Je ne peux m’y résoudre, me voilà donc, totalement sous le coup de l’émotion. Je tiens à rappeler qu’émotion, étymologiquement, veut dire « Mettre en mouvement ». Comment pourrais-je lancer cet appel, ces mots, cette lettre, s’il n’y a pas de mise en mouvement préalable ?
C’est en colère et en tristesse que je vous écris Monsieur le président. Et mes mots n’en seront que plus vrais ; que plus justes. Lisez-les sans penser « elle s’est laissé emporter » !
Je ne m’emporte pas, j’ai besoin de m’exprimer. Voilà huit semaines que je suis, comme tous les français, confinée chez moi. Huit semaines de pause forcée. Ces huit semaines, que j’espère exceptionnelles dans la fresque de ma vie, ont pris la forme d’un quotidien au ralenti, où j’ai beaucoup mangé et beaucoup réfléchi. Je me retrouve là, clouée, privée de mes libertés chéries avec mes raisonnements fraichement nés. Où suis-je ? Dans quel pays ? Dans quel monde ?


J’ai obéi monsieur le président. J’ai obéi sans demander pourquoi, ni comment. « La guerre contre le Corona est déclarée, Mathilde tu dois rester chez toi ! ». J’ai pris mon sac et je suis rentrée me terrer chez mes parents. Je me suis tue, j’ai obéi. En retournant chez moi, j’ai retrouvé ma famille et j’ai perdu tous mes repères. J’ai perdu mes repères parce que j’étais enfermée et lors des allocutions personne n’a répondu à mes questions. Personne n’a évoqué l’origine de cette pandémie ! « Elle nous tombe dessus, voilà tout » dites-vous. « Nous devons nous défendre, lui faire la guerre ! ». Mais qui est cet ennemi ? L’avez-vous analysé ? Un pangolin sans défense qui depuis des dizaines d’années subit le braconnage, parce que ses écailles auraient des vertus médicinales pour l’Homme ? Laissez-moi rire !
Le problème est ailleurs ! Mais bien sûr on garde son masque-pour-dormir, bien posé sur les yeux et l’on décolle pour un vol long-courrier vers le monde du « faites comme si de rien n’était » ! Confinée, j’ai lu et j’ai retenu quelques informations déjà relayées par nombre de scientifiques.  Je me permets : nous sommes totalement à l’origine de cette pandémie qui nous cloître chez nous ! C’est en détruisant la nature, les écosystèmes et les fragiles équilibres inter-espèces qu’ils abritent que nous permettons aux virus de nous atteindre. Des virus inoffensifs pour certaines espèces animales, mais fatals pour l’espèce humaine ! Voilà, encore une fois, nous retournons à l’urgence du développement durable ! Maintenant que nous avons détraqué le monde nous en payons les frais, qui s’avèrent élevés, puisqu’ils nous coûtent parfois la vie. Mais quel autre futur aurait pu être envisagé dans un système où l’expansion et la croissance dirigent toutes les décisions ? Un système où, une poignée de puissants prennent les rênes de la production pour toujours plus de profit pendant que l’environnement et les plus faibles en bavent. Un système où les métiers les plus utiles sont les plus mal payés. Un système où les décisions sont prises sans toucher terre, où la proximité, le local, le circuit court est mis à mal. Un système où tout devient abstrait : La nourriture (chimique, inventée, grasse, néfaste), les relations, la production industrielle (déclocalisation) ! UN SYSTÈME où la démocratie est étouffée par la prépondérance de la finance ! Une finance hors-sol guidée par son seul désir de croissance infinie. Comment pouvons-nous espérer un retour au concret ? Une réparation pour les erreurs commises ? Comment pouvons-nous éviter des pandémies à répétition qui nous mèneront à vivre sous terre ?

J’ai 22 ans. J’ai choisi de travailler dans le monde de la culture sans me demander pourquoi. Juste j’y suis allée, et je me suis formée au métier de comédienne, ainsi qu’à la production de spectacle vivant. J’y suis allée, et aujourd’hui je prends conscience de l’importance de ce choix. Je me suis engagée dans une des voies en France qui ne peut être motivée par la recherche du profit, ni de l’expansion, tant il faut se battre pour en vivre. Être artiste, c’est sublimer la nature humaine pour qu’elle puisse se voir, pour qu’elle s’imagine autrement. C’est rendre hommage aux faiblesses, à la fragilité et à la grandeur de l’humain ! C’est être vrai ; sans omettre que l’humain est faillible et parfois tout petit. C’est souvent rappeler que l’humanité est belle dans son unité, pas dans l’oppositions des classes sociales, des faibles et des puissants. J’ai fait ce choix de métier et j’en suis fière, parce que je sais qu’il pourra me mener à bâtir un monde meilleur ! Seulement, j’ai 22 ans, et je rechigne à entrer dans le système… Je ne veux pas, je suis au bord, je regarde ; et je me demande comment je vais m’en sortir ! Je ne veux pas être un rouage de cette machine à tout détruire, ni une marginale qui fait des spectacles ! Je veux faire partie intégrante d’un pays nouveau à l’équilibre entre ce qu’il créé et ce qu’il détruit. J’ai 22 ans, et je connais la colère, l’injustice, la souffrance. Être jeune en France aujourd’hui, c’est soit fermer les yeux, soit être obnubilé par la catastrophe environnementale qui nous pend au nez. Être jeune en France aujourd’hui, c’est s’être développé en même temps que la mondialisation, s’être vu déposséder de son identité. C’est craindre, ou encourager la montée des extrêmes politiques. C’est avoir grandi avec des attentats réguliers. C’est avoir entendu que tout était possible à travers le monde entier tout en étant alarmé sur les risques d’un mode de vie consumériste et illimité. C’est aussi avoir grandi avec la grève, la colère sourde des couches sociales les moins favorisées. C’est avoir grandi dans la quête insatisfaite de l’égalité Hommes Femmes. Être jeune aujourd’hui en France c’est voir les séquelles d’un système peu inclusif qui laisse tant de minorités sur le banc. C’est hériter d’un monde à bout de souffle, et à guérir. Être jeunes aujourd’hui en France, c’est voir notre avenir détruit ou ralenti par une épidémie dont nous ne sommes pas responsables.

Voyez-vous, ma jeunesse n’est pas celle de l’insouciance !


Toutefois, ma jeunesse est celle de l’espoir ! L’espoir d’une France plus belle. Je ne me laisse pas abattre par des figures publiques, des Houellebecq, qui écrivent que le monde va mal et que demain ce sera pire. Ces voix sont les complices de notre système meurtrier, se reposant sur une fatalité absolument factice. Sous prétexte que la situation est catastrophique, il faudrait baisser les bras ? Le gouvernement se trouvera-t-il blessé dans sa virilité capitaliste s’il admet ses erreurs ? Nous serions donc capables d’aller sur la lune, de parler plusieurs langues… mais pas de faire demi-tour ? Je veux croire qu’un autre chemin est possible. Monsieur le président je ne veux pas rester en touche parce que le système français me semble voué à l’échec. Je veux moi aussi faire ma part, dans des règles, en tant que citoyenne dans une démocratie. Il faut que l’on mette des rêveurs et des humbles à la tête du pays, entourés de savants. Et que l’on puisse déconstruire tout ce que l’on a fait. Nous avons une dette envers la nature, nous devons la payer, pour remettre nos pieds sur terre. Moi, je n’ai pas l’intention de mourir en regardant le monde pourrir sous mes yeux. Je veux pouvoir raconter à mes petits-enfants, en riant, le monde absurde dans lequel j’aurais vécu ma jeunesse. Je vois partout autour de moi des initiatives pour retourner à une existence plus saine ; une vie à taille humaine. Les choses bougent en bas de la pyramide. Mais maintenant il faut que cela vienne d’en haut, pour rassembler tout ça ! Soyez à l’écoute de ce que proposent les pionniers d’une société nouvelle, il y a des idées partout. Je ne demande rien d’autre que de réinventer le pays. Monsieur le président, je veux une révolution sociale, environnementale, et économique. Maintenant.

Lettre de Mathilde CLOZIER, la fille d’un colistier d’OSE, Jean-Christophe CLOZIER